Futur(s) | Récession relationnelle
Et si, demain, le travail faisait sa mue pour intégrer les enjeux de la retraite ?
Futur(s) est une newsletter hebdomadaire qui raconte les émergences du présent en fictions du futur. J’y partage ma veille et mes réflexions sur l’évolution de nos modes de vie. Nous sommes désormais 8 353 à imaginer les futurs ici.
Dans un contexte de récession relationnelle, où le couple et la famille ne sont plus des horizons partagés, quels futurs pour l’équilibre actif/retraité dans notre société ? A mesure que le levier migratoire s’éloigne de notre spectre politique, que l’atonie nataliste s’installe, tous les espoirs se tournent vers l’automatisation et la robotisation.
Malgré cela, l’équation des retraites semble de plus en plus difficile à résoudre sans renverser la table. J’ai trouvé l’idée de la croissance de type 2, développée par Kevin Kelly (voir les sources ci-dessous) intéressante à cet égard. Elle est appliquée à la vie économique, mais pourrait-on transposer ce concept à la croissance démographique ? Qu’est-ce que cela pourrait vouloir dire ?
Je vous propose quelques pistes fictionnelles qui n’ont pas la prétention d’être réalistes. Elles sont davantage là pour nous inviter à envisager le débat de la retraite au delà de la variable de l’âge de départ, au niveau des enjeux de société et de systémie qu’il sous-tend. Plus du changement de perspective que de la prospective donc ! N’hésitez pas à en proposer d’autres.
A très vite,
Noémie
Invitation | Webinar ouvert à tous | 24 janvier à 12h
Pauline Rochart vient de publier "Ceux qui reviennent - Quitter Paris pour retourner vivre dans son territoire d'origine" aux éditions Payot. Elle sera l'invitée de ce webinar de 45 minutes.
Nous aborderons ensemble ce que ce phénomène de migration veut dire pour l'identité et le sentiment d'appartenance, mais aussi le travail, la famille, le territoire,...
Anne-Laure Prevost fera une facilitation graphique en direct - merci à elle d'avoir accepté !
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Fiction | Contes du futur
Un futur possible, inspiré par le présent, ses tendances et ses signaux faibles.
Les rentiers de l’IA : ils préparent leur retraite en encodant leur savoir-faire et en créant des entités autonomes qui pourront fonctionner sans eux. Chaque mois, ils toucheront des royalties qui seront un complément de revenu bienvenu.
Taxe sur l’automatisation : Quand la productivité par employé franchit des seuils vertigineux permis par l'automatisation, l'entreprise bascule dans un nouveau régime de contribution sociale. Ses gains d'efficacité, fruits des algorithmes et des robots, alimentent alors directement un fonds souverain destiné aux retraites.
Les bodyhackers : En silence d'abord, puis comme une vague déferlante, les bodyhackers ont révolutionné le monde du travail, leurs prothèses neurales et biotechnologiques démultipliant leurs capacités bien au-delà des limites humaines conventionnelles. Ces nouveaux artisans de leur propre corps, fusionnant chair et technologie, atteignent des niveaux de productivité si vertigineux qu'un seul d'entre eux peut désormais assurer le financement intégral des retraites de deux aînés, bouleversant tous les équilibres économiques établis.
Accord de financement des retraites bilatéral : L’idée d’un accord de financement de la retraite avec certains pays du continent africain défraie la chronique en ce moment : en échange d’une formation d’une partie de la jeune main d’oeuvre du pays dans les écoles françaises, ceux-ci contribueraient au système de protection français pendant les 10 premières années de leur vie professionnelle.
Coopérative de générations : La Coopérative des Générations réinvente le pacte social en proposant aux travailleurs d'être copropriétaires de leurs outils de travail, créant ainsi un patrimoine professionnel transmissible.
Au lieu d'une rupture brutale entre vie active et retraite, elle permet une transition fluide où les seniors transfèrent progressivement leurs parts aux plus jeunes tout en restant impliqués comme mentors, garantissant ainsi la transmission des savoirs et la pérennité de la valeur créée.
Veille | Les coulisses
Les tendances et signaux faibles derrière la fiction
🔮 La récession relationnelle, une tendance mondiale (et un regard par pays ici)
The central demographic story of modern times is not just declining rates of childbearing but rising rates of singledom: a much more fundamental shift in the nature of modern societies. Relationships are not just becoming less common, but increasingly fragile. In egalitarian Finland, it is now more common for couples who move in together to split up than to have a child, a sharp reversal of the historical norm.
(Trad. L'histoire démographique centrale des temps modernes n'est pas seulement le déclin des taux de procréation, mais aussi l'augmentation des taux de célibat : un changement beaucoup plus fondamental dans la nature des sociétés modernes. Les relations ne sont pas seulement moins fréquentes, elles sont aussi de plus en plus fragiles. En Finlande, pays égalitaire, il est aujourd'hui plus fréquent que les couples qui emménagent ensemble se séparent que d'avoir un enfant, ce qui constitue un revirement radical par rapport à la norme historique.)
🔮 Zoe Scaman sur la croissance
We count the wrong things in the wrong ways. We track money invested, not value created. We measure growth rates, not system health. We focus on size, not strength. The old math doesn’t work anymore. Value doesn’t add up-it multiplies, transforms and creates new possibilites through connection. This raises two questions: How do me measure what really matters in an interconnected world ? What are we missing because we are looking in the wrong places?
(Trad. Nous comptons les mauvaises choses de la mauvaise manière. Nous suivons l'argent investi, et non la valeur créée. Nous mesurons les taux de croissance et non la santé des systèmes. Nous nous concentrons sur la taille et non sur la force. Les vieux calculs ne fonctionnent plus. La valeur ne s'additionne pas - elle se multiplie, se transforme et crée de nouvelles possibilités grâce à la connexion. Cela soulève deux questions : Comment mesurer ce qui compte vraiment dans un monde interconnecté ? Que manquons-nous parce que nous ne regardons pas au bon endroit ?)
🔮 Croissance de type 2 - Kevin Kelly
In English there is a curious and unhelpful conflation of the two meanings of the word “growth.” The most immediate meaning is to increase in size, or increase in girth, to gain in weight, to add numbers, to get bigger. In short, growth means “more.” More dollars, more people, more land, more stuff. More is fundamentally what biological, economic, and technological systems want to do: dandelions and parking lots tend to fill all available empty places. If that is all they did, we’d be well to worry. But there is another equally valid and common use of the word “growth” to mean develop, as in to mature, to ripen, to evolve. We talk about growing up, or our own personal growth. This kind of growth is not about added pounds, but about betterment. It is what we might call evolutionary or developmental, or type 2 growth. It’s about using the same ingredients in better ways. Over time evolution arranges the same number of atoms in more complex patterns to yield more complex organisms, for instance producing an agile lemur the same size and weight as a jelly fish. We seek the same shift in the technium. Standard economic growth aims to get consumers to drink more wine. Type 2 growth aims to get them to not drink more wine, but better wine.
(Trad. En anglais, il existe une confusion curieuse et peu utile entre les deux sens du mot « croissance ». Le sens le plus immédiat est l'augmentation de la taille ou de la circonférence, le gain de poids, l'addition de nombres, l'agrandissement. En bref, la croissance signifie « plus ». Plus de dollars, plus de personnes, plus de terres, plus de choses. Plus, c'est fondamentalement ce que les systèmes biologiques, économiques et technologiques veulent faire : les pissenlits et les parkings ont tendance à remplir tous les espaces vides disponibles. S'ils ne faisaient que cela, nous aurions raison de nous inquiéter. Mais il existe un autre usage tout aussi valable et courant du mot « croissance », qui signifie « développement », c'est-à-dire « maturité », « mûrissement », « évolution ». Nous parlons de grandir, ou de notre propre croissance personnelle. Ce type de croissance ne consiste pas à prendre des kilos en trop, mais à s'améliorer. C'est ce que l'on pourrait appeler la croissance évolutive ou développementale, ou encore la croissance de type 2. Il s'agit d'utiliser les mêmes ingrédients d'une meilleure façon. Au fil du temps, l'évolution agence le même nombre d'atomes selon des schémas plus complexes pour produire des organismes plus complexes, par exemple en produisant un lémurien agile de la même taille et du même poids qu'une méduse. Nous cherchons à obtenir le même changement dans le technium. La croissance économique standard vise à inciter les consommateurs à boire plus de vin. La croissance de type 2 vise à leur faire boire non pas plus de vin, mais du meilleur vin.)
👁️ Pourrai-je encore travailler à 60 ans ?
Working conditions have a great influence in the idea of inability to perform the same type of work at 60. This notion does not only apply to older workers. In fact, even younger workers under certain working conditions hold the same view, thus raising social concerns that should be taken into account by public policies.
(Trad. Les conditions de travail ont une grande influence sur l'idée d'incapacité à effectuer le même type de travail à 60 ans. Cette notion ne s'applique pas uniquement aux travailleurs âgés. En fait, même des travailleurs plus jeunes, dans certaines conditions de travail, sont du même avis, ce qui soulève des préoccupations sociales qui devraient être prises en compte par les politiques publiques.)
Réel | Observer le présent
Les changements autour de nous pour décrypter un monde bouleversé et bouleversant
The US TikTok ban is yet another signal of the emergence of this splinternet. But the point I want to make clear: this is only the start. Via the US push to rekindle Intel and advance its own AI infrastructure at lightspeed — all while doing its best to hinder Chinese AI — we see the emergence not just of two internets, but two rival systems of intelligence.
And this is about more, even, than control of AI chip manufacturing. American AI companies have agreed to block Chinese users from accessing their frontier models and the apps they power. That means no ChatGPT or Claude in China. Instead, Chinese citizens use AIs created by domestic players, who follow strict rules laid down by the CCP. Their LLMs are trained to echo President Xi’s thinking on ‘socialism with Chinese characteristics’.
Once you accept that AI is a deeply consequential technology, you see how important this is. AI will forge our cultures, change the way we think, and even help shape the limits of what it is possible for us to think about. And now, the world is dividing into two great and opposing AI arenas. Two great systems of culture and information processing. Each one wants to advance, while eroding the power of the other.
(Trad. L'interdiction de TikTok aux États-Unis est un nouveau signe de l'émergence de ce réseau. Mais ce que je veux dire clairement, c'est que ce n'est qu'un début. Grâce aux efforts déployés par les États-Unis pour relancer Intel et faire progresser leur propre infrastructure d'IA à une vitesse fulgurante - tout en faisant de leur mieux pour entraver l'IA chinoise -, nous assistons à l'émergence non seulement de deux internets, mais aussi de deux systèmes d'intelligence rivaux.
L'enjeu ne se limite pas au contrôle de la fabrication des puces d'IA. Les entreprises américaines spécialisées dans l'IA ont accepté d'empêcher les utilisateurs chinois d'accéder à leurs modèles d'avant-garde et aux applications qu'ils alimentent. Cela signifie qu'il n'y a pas de ChatGPT ou de Claude en Chine. Au lieu de cela, les citoyens chinois utilisent des IA créées par des acteurs nationaux, qui suivent des règles strictes établies par le PCC. Leurs LLM sont formés pour faire écho à la pensée du président Xi sur le « socialisme avec des caractéristiques chinoises ».
Une fois que l'on admet que l'IA est une technologie lourde de conséquences, on comprend l'importance de cette question. L'IA va forger nos cultures, changer notre façon de penser et même contribuer à définir les limites de ce qu'il nous est possible de penser. Aujourd'hui, le monde se divise en deux grands domaines opposés de l'IA. Deux grands systèmes de culture et de traitement de l'information. Chacun veut progresser, tout en érodant le pouvoir de l'autre.)
👁️ Trump Geopolitics : le président de l’IA
Towards the AI State
This dynamic is already expressing itself in an institutional way, with the creation of the Department of Government Efficiency (DOGE). With Elon Musk as chair and Vivek Ramaswamy as co-chair, this presidential advisory commission will promote technology as a way to reduce the number of federal agencies as well as of employees.
The main mission of the commission is to lead “three major kinds of reforms: regulatory rescissions, administrative reductions and cost savings”. Some of the goal of the commission are to redefine government efficiency in a rapidly changing digital and technological context. […]
In other terms, the DOGE will (try to) lead both the integration of current tech, i.e artificial intelligence, to the Federal State, while reducing regulation in the technological sector (Ross Gianfortune, ibid) . As it happens, these goals appear quite clearly aligned on the recommendations developed by the National Security Commission on AI, chaired by Eric Schmidt .[…]
Towards AI geopolitical escalation ?
One must remember that these goals take place in the context of the rapid militarization and weaponization of AI. One driver of this dynamic is the US military demand for technology. Another is the competition with China, the other Great power. And China is also leading a rapid “intelligentization” of its military forces
(Trad. Vers l'État IA : Cette dynamique s'exprime déjà de manière institutionnelle, avec la création du Department of Government Efficiency (DOGE). Présidée par Elon Musk et coprésidée par Vivek Ramaswamy, cette commission consultative présidentielle entend promouvoir la technologie comme moyen de réduire le nombre d'agences fédérales et d'employés.
La mission principale de la commission est de mener « trois grands types de réformes : l'annulation des réglementations, les réductions administratives et les économies de coûts ». Certains des objectifs de la commission sont de redéfinir l'efficacité du gouvernement dans un contexte numérique et technologique en évolution rapide […]
En d'autres termes, la DOGE va (essayer de) mener à la fois l'intégration de la technologie actuelle, c'est-à-dire l'intelligence artificielle, à l'État fédéral, tout en réduisant la réglementation dans le secteur technologique (Ross Gianfortune, ibid). Ces objectifs semblent d'ailleurs assez clairement alignés sur les recommandations développées par la Commission de sécurité nationale sur l'IA, présidée par Eric Schmidt . [...]
Vers une escalade géopolitique de l'IA ? Il ne faut pas oublier que ces objectifs s'inscrivent dans le contexte d'une militarisation et d'une militarisation rapides de l'IA. L'un des moteurs de cette dynamique est la demande militaire américaine en matière de technologie. La concurrence avec la Chine, l'autre grande puissance, en est un autre. La Chine mène également une « intelligentisation » rapide de ses forces armées en vue d'obtenir des armes.)
One insider said: “Using AI tools to improve the productivity of managers covering [the] work of journalists who were out on strike was a deeply cynical attempt by management to undermine the strike. It’s also in contravention of The Guardian’s self-professed values.”
The Guardian has been developing its use of AI in recent months and has offered reassurances to staff over the use of the technology. However, union sources said AI tools that were in development had been activated specifically to counter the impact of the mass walkouts.
(Trad. Un initié a déclaré : « L'utilisation d'outils d'intelligence artificielle pour améliorer la productivité des cadres qui couvrent le travail des journalistes en grève est une tentative profondément cynique de la part de la direction pour saper la grève. Cela va également à l'encontre des valeurs que le Guardian se targue d'avoir. »
Le Guardian a développé son utilisation de l'IA au cours des derniers mois et a rassuré le personnel quant à l'utilisation de cette technologie. Toutefois, des sources syndicales ont déclaré que les outils d'IA en cours de développement avaient été activés spécifiquement pour contrer l'impact des débrayages massifs.)
😲 Infrastructures fictionnelles
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Si vous souhaitez en savoir plus sur mon métier, c’est par ici
Intéressant la croissance de type 2 mais historiquement dès qu'on invente quelque chose pour utiliser moins d'intrants dans la production, on finit par produire plus et pas mieux (fameux effet rebond)
Encore une fois que de matière à réflexion… merci et bravo pour ce travail et son partage