Futur(s) | Après les années folles
Et si, demain, notre perception du beau allait au-delà de l'esthétique ?
Futur(s) est une newsletter hebdomadaire qui raconte les émergences du présent en fictions du futur. J’y partage ma veille et mes réflexions sur l’évolution de nos modes de vie. Nous sommes désormais 6 635 à imaginer les futurs ici.
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Cette semaine, je n’arrivais pas à trouver d’angle dans mon écriture. Je tournais en rond sans trouver d’aspérité. Et puis, j’ai vu l’interview de Julia Faure de Loom sur les avantages comparatifs dans l’industrie textile. Tout dans cette prise de parole m’a bousculée, dans le fond et la forme. Quand la contre-culture entrepreneuriale, incarnée de manière inspirante par Julia Faure, débarque sur BFM TV, tous les paradoxes de notre époque deviennent évidents.
Je n’ai pas la verve de Julia, mais, avec mes mots, cela m’a inspirée une réflexion sur le futur du beau.
Bonne lecture,
Noémie
Fiction | Contes du futur
Un futur possible, inspiré par le présent, ses tendances et ses signaux faibles.
Votre fille a pris sa décision sur la manière dont elle souhaite utiliser le petit pécule que vous avez mis douze ans à mettre de côté pour elle. Chaque mois, une dizaine d’euros épargnés sur un compte dédié, un peu plus durant les périodes plus fastes, dans l’idée de soutenir un projet qui lui tiendra à coeur une fois adulte. Vous aviez déjà quelques idées pour elle : pourquoi pas une année d’étude pour apprendre à mieux se connaître, ou une année sabbatique pour parcourir l’Europe.
Mais vous n’aviez pas imaginé un seul instant qu’elle souhaiterait s’offrir un objet avec cette somme. Vous avez passé toute sa jeunesse à lui inculquer des valeurs de diminution de consommation, un rapport différent au matériel et à lui transmettre un savoir-faire pour réparer ou surcycler. Elle a d’ailleurs un certain talent pour transformer les objets avec goût et astuce.
En réalité, elle n’a que très peu connu la surabondance matérielle qui a caractérisé “les années folles”, les années vingt de ce début du XXIème siècle. A cette époque, vous aviez déjà commencé à changer vos manières de consommer et faisiez partie de groupes de “braconniers” qui détournaient les objets et les matières pour les faire durer. Depuis, des barrières au libre-échange ont été ré-instaurées, limitant fortement l’importation de produits dont les standards sociaux ou environnementaux sont inférieurs à ceux du pays importateur. Les produits low-cost sont devenus plus difficiles à trouver. Les braconniers sont désormais ceux qui importent de manière illégale des t-shirts fabriqués au Bengladesh.
Votre fille, elle, a toujours vécu dans ce monde où la matière est précieuse, où le beau vient avec l’effort et le savoir-faire, où le matériel est vivant. Vous avez donc d’abord été décontenancé·e par son souhait d’acquérir un objet. Pire, un vêtement neuf. Mais ensuite, elle vous a expliqué : c’est un manteau tellement beau, fabriqué par un ami, un travail d’artisanat noble, et une matière de première main durable. Un manteau qui l’accompagnera pour les vingt prochaines années, qui se transformera ensuite en autre chose. Et elle gardera le reste de son épargne pour un autre projet, un voyage peut-être ? Vous voilà rassuré·e, vous n’avez pas tout raté dans l’éducation de votre fille !
Veille | Les coulisses
Les tendances et signaux faibles derrière la fiction
🔮 L’économie circulaire à hauteur d’habitants : le braconnage
Le pouvoir d’innovation des habitants dans la relation circulaire aux objets – leurs capacités de “braconnage” que Michel de Certeau invitait à analyser à travers une observation minutieuse des pratiques du quotidien les plus anodines (Certeau, 1990) – n’aurait pas cessé d’être. Plus qu’une mutation du consommateur, la régression des pratiques circulaires et responsables populaires, usuelles, traditionnelles, serait le fait d’une mutation des possibilités qui sont proposées à l’habitant dans son rapport à la consommation. Il est en effet plus difficile de construire un rapport de durabilité avec des objets moins ouverts à la réparation, plus fragiles, plus jetables et plus obsolescents qu’auparavant car promus par la consommation de masse. Dans ce contexte, l’habitant développerait d’autant plus de ruses pour parvenir à se défaire de la logique de marché dominante allant dans le sens d’un renouvellement rapide et constant de la consommation de masse pour soutenir la croissance. Le braconnage est alors celui d’un habitant qui cherche, dans un contexte économique peu favorable, à construire un rapport plus durable avec les objets de manière d’autant plus intense et innovante qu’ils ont de moins en moins vocation à l’être.
👁️ Pourquoi tout est-il si moche ?
The new ugliness is defined in part by an abandonment of function and form: buildings afraid to look like buildings, cars that look like renderings, restaurants that look like the apps that control them
(Trad. La nouvelle laideur se définit en partie par l'abandon de la fonction et de la forme : des bâtiments qui ont peur de ressembler à des bâtiments, des voitures qui ressemblent à des rendus, des restaurants qui ressemblent aux applications qui les contrôlent)
👁️ L’économiste qui veut rendre des comptes à la nature
“I think many of us finally began to see that, fundamentally, environmental problems are economic and social problems. […] We cannot maintain the vitality and security of the biosphere without valuing nature.”
(Trad. "Je pense que beaucoup d'entre nous ont finalement commencé à comprendre que, fondamentalement, les problèmes environnementaux sont des problèmes économiques et sociaux. Nous ne pouvons pas maintenir la vitalité et la sécurité de la biosphère sans valoriser la nature".)
👁️ Prendre soin de ceux qui prennent soin (via Alexandre, merci :)
Dans les métiers de soignants, on est souvent confronté à la laideur, la violence ou encore la petitesse. Pour Pascale Brillon, une des stratégies, c'est de s'exposer à la grandeur et à la beauté humaine : « Parfois, il faut forcer cet élément et prendre le temps de trouver cette beauté dans l’Art par exemple. Pour aller bien. Il faut sortir de soi et revenir à soi, s'oublier et se retrouver. »
👁️ Le futur du beau vu par le photographe Omar Victor Diop
Réel | Observer le présent
Les changements autour de nous pour décrypter un monde bouleversé et bouleversant
🔮 Polarisation politique genrée
Across much of the world, men and women think alike. However, in countries that are economically developed and culturally liberal, young men and women are polarising. As chronicled by John Burn-Murdoch, young women are increasingly likely to identify as ‘progressives’ and vote for leftists, while young men remain more conservative. What explains this global heterogeneity?
(Trad. Dans la plupart des pays du monde, les hommes et les femmes pensent de la même manière. Toutefois, dans les pays économiquement développés et culturellement libéraux, les jeunes hommes et les jeunes femmes se polarisent. Comme l'a souligné John Burn-Murdoch, les jeunes femmes sont de plus en plus susceptibles de s'identifier comme "progressistes" et de voter pour des gauchistes, tandis que les jeunes hommes restent plus conservateurs. Comment expliquer cette hétérogénéité mondiale ?)
👁️ Luddite
“We need to be critical and thoughtful about how we use machines to forge futures,” Veena Dubal, a law professor at UC Irvine who’s spent the past decade studying the gig economy and its impact on drivers, told me.
“I very much identify as a Luddite,” Dubal said. “This doesn’t mean I am against technology. It means I am against dispossession.”
Using sophisticated engineering and design, Ori invented an entirely new type of apartment—one that radically improves the resident experience in smaller spaces.
Ori apartments effortlessly expand to create space on demand, giving residents one-bedroom living at a studio price.
No more trading space for location.
(Trad. Grâce à une ingénierie et une conception sophistiquées, Ori a inventé un tout nouveau type d'appartement, qui améliore radicalement l'expérience des résidents dans des espaces plus petits.
Les appartements Ori s'agrandissent sans effort pour créer de l'espace à la demande, offrant aux résidents une chambre à coucher au prix d'un studio.
Plus besoin d'échanger l'espace contre l'emplacement.)
En 2024, l'équipe s'attaquera à un nouveau défi : appliquer la démarche low-tech à un milieu urbain dense, en région parisienne. L'objectif est de concevoir un mode de vie qui ne produise pas de déchets, divise par 10 la consommation d'eau, réponde aux objectifs 2050 de l'ONU pour les émissions de gaz à effet de serre, et qui soit à la fois désirable et accessible à tous ! Au cœur de l'expérience, un appartement futuriste low-tech, relié à un écosystème d'une vingtaine d'acteurs de différents domaines : élevage de larves pour le recyclage des déchets organiques, culture de champignons et de jeunes pousses pour l'alimentation, production de biogaz pour la cuisine, fablab pour la production et la réparation d'objets, supermarché collaboratif, ferme bio, etc. Pendant 4 mois ce mode de vie à la fois prospectif et réaliste sera mis à l'épreuve afin de réfléchir au futur des villes.
Here is how platforms die: first, they are good to their users; then they abuse their users to make things better for their business customers; finally, they abuse those business customers to claw back all the value for themselves. Then, they die. I call this enshittification, and it is a seemingly inevitable consequence arising from the combination of the ease of changing how a platform allocates value, combined with the nature of a "two sided market", where a platform sits between buyers and sellers, hold each hostage to the other, raking off an ever-larger share of the value that passes between them.
(Trad. “Voici comment les plateformes meurent : d'abord, elles sont bonnes pour leurs utilisateurs ; ensuite, elles abusent de leurs utilisateurs pour améliorer la situation de leurs clients professionnels ; enfin, elles abusent de ces clients professionnels pour récupérer toute la valeur pour elles-mêmes. Enfin, elles abusent de ces clients pour récupérer toute la valeur pour elles-mêmes. Puis elles meurent. C'est ce que j'appelle l'enshittification, et c'est une conséquence apparemment inévitable de la combinaison de la facilité à changer la façon dont une plateforme attribue la valeur, et de la nature d'un "marché bilatéral", où une plateforme se situe entre les acheteurs et les vendeurs, tenant chacun en otage de l'autre, et prélevant une part toujours plus grande de la valeur qui passe entre eux”.)
💛 Osons explorer le brouillard pour aller vers des troubles féconds par
Tomber dans une forme d’inertie face à l’incertitude n’est pas une option, car cela ne signifie pas l'absence de mouvement, mais plutôt l’absence d’inflection de notre trajectoire collective. Pour reprendre la métaphore initiale, l’inertie n’apporte aucune force capable de nous dévier du mur. Pour réussir à avancer en maintenant ce doute, Morizot nous propose la philosophie du “Ou pas”. C’est une technique de terrain qu’il mobilise lorsqu’il entre en territoire inconnu, la carte à la main, pour ne pas perdurer dans l’erreur. Observant notre capacité à tordre la réalité pour confirmer nos croyances, (les fameux biais de confirmation), cette pratique consiste à constamment envisager deux hypothèses.
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Si vous souhaitez en savoir plus sur mon métier, c’est par ici
Pour pousser le sujet sur la laideur à laquelle sont confrontés les personnels de santé, je vous propose de regarder un court extrait de ce que dit Cynthia Fleury sur l'importance de "préserver une vue, d'avoir accès à l'horizon". Voici un tout petit extrait : https://www.youtube.com/watch?v=QLq3c7gKPsw
A propos des Luddites et de la lutte contre l'utilisation de l'IA, l'IA ne poserait de problème à personne, au contraire, si la richesse produite grâce à elle était équitablement partagée. Par exemple, si une entreprise qui utilise l'IA à la place d'employés licenciés, les dédommage à hauteur du salaire perdu.
Dans ce cas, l'entreprise ne licencierait que si utiliser l'IA générait plus que le coût de ce dédommagement, et tout le monde serait gagnant : l'entreprise qui augmente son bénéfice et l'employé qui est rémunéré sans travailler