Futur(s) est une newsletter hebdomadaire qui raconte les émergences du présent en fictions du futur. J’y partage ma veille et mes réflexions sur l’évolution de nos modes de vie. Nous sommes désormais 8 885 à imaginer les futurs ici.
Il y a quelques jours, en flânant à la médiathèque de ma ville, je suis tombée sur un ouvrage inattendu dans le rayon “coup de cœur” : Une histoire naturelle du futur (2022) de Rob Dunn, biologiste de formation. Le thème m’a surprise : un essai sur le futur, signé par un scientifique, dans une médiathèque de ville moyenne ? Un choix audacieux, presque confidentiel.
Un grand merci au curateur anonyme de cette sélection, j’ai dévoré ce livre. Il m’a ouvert les portes d’un imaginaire fertile. Le sous-titre annonce clairement la couleur : Ce que les lois de la biologie nous disent de l’avenir de l’espèce humaine. L’auteur nous invite à repenser le futur à partir de notre condition première : celle d’un être vivant parmi d’autres, soumis aux lois de l’évolution, de l’adaptation, de l’écologie. Un point de vue qui résonnera avec le concept de robustesse développé par Olivier Hamant.
Voici ce que j’en ai retenu, et ce que cela a fait germer comme questions nouvelles.
Bonne lecture,
Les idées fortes
1. Les Galapagos urbaines
Nos ensembles urbains sont des habitats clos qui influencent l’évolution des espèces
“L’évolution des espèces finira sans doute par aller de pair avec nos régions politiques, ou au moins avec les régions dans lesquelles nous aurons renforcé les contrôles. Les espèces qui vivent dans les exploitations agricoles ou dans les villes d’Europe pourraient donc devenir différentes de celles d’Amérique du Nord. A ma connaissance, personne n’a encore étudié la chose, mais il parait très probable que ces différences soient déjà en train de s’accumuler dans des pays qui, comme la Nouvelle-Zélande, font de gros efforts pour empêcher les espèces indésirables de franchir leurs frontières.”
Les grandes migrations humaines sont pensées, mais quid des migrations des autres êtres vivants ?
“La plupart des espèces sur Terre devront se déplacer pour survivre au changement climatique. Des milliers d’espèces de mammifères. Plusieurs milliers d’espèces d’oiseaux. Des centaines de milliers d’espèces de plantes. Des millions d’espèces d’insectes. Un nombre incalculable d’espèces de microbes. Il leur faudra quitter leurs îlots-habitats actuels pour trouver un nouveau foyer. […] Les espèces devront d’abord trouver où se situent leurs nouveaux habitats, puis un moyen de les rejoindre”
Le principe de corridor écologique désigne des zones de passage qui permettent aux espèces vivantes (animales, végétales, fongiques, etc.) de se déplacer librement entre différents habitats fragmentés, pour se nourrir, se reproduire, migrer ou s’adapter au changement.
2. La géographie des parasites
Nous vivons dans un monde construit au gré des fuites d’espèces vis-à vis de leurs prédateurs et parasites.
“Cette connectivité à des conséquences majeures, car, une des raisons de la réussite planétaire de l’espèce humaine a été sa capacité de fuir et d’échapper aux espèces qui aimeraient vivre à ses côtés ou à ses dépens”
Nous avons mis en place des conditions de vie et de survie favorables à nos parasites.
'“Nos corridors urbains sont parfaitement adaptés pour assurer la survie des espèces qui préfèrent les habitats urbains et qui se déplacent bien. C’est pour elles que nous avons, par inadvertance, construit une arche. Mais pas seulement pour elles. Nous avons aussi relié les habitats de nos foyers et même de nos corps. Nous avons créé des corridors à travers toutes les punaises de lit du monde peuvent remonter vers le nord ou descendre vers le sud pour trouver leur climat préféré. […] Nous investissons dans les infrastructures qui assurent leur survie.”
“La nature nous a proposé un marché : si nous renoncions à des milliers d’espèces d’oiseaux, de plantes, de mammifères, de papillons et d’abeilles, nous pourrions avoir en échange quelques nouvelles espèces de moustiques et de rats. C’était une très mauvaise affaire, mais nous l’avons acceptée.”
Le projet de colonisation spatiale est une nouvelle stratégie de fuite vis-à-vis de ces parasites.
“Des chercheurs ont récemment découvert des parasites sur les plantes qui poussent dans les jardins entretenus par les astronautes de la Station spatiale internationale. Les parasites agricoles ont déjà conquis l’espace”
Des parasites ou ravageurs ont été contenus, voire temporairement éradiqués, grâce à des solutions biologiques (pensez aux antibiotiques). Mais l’auteur montre surtout que ces victoires sont rarement durables. Le maintien d’ennemis sensibles aux biocides est essentiel pour éviter l’évolution de résistances.
« La sensibilité de nos ennemis aux biocides est un bien commun. » Peter Jørgensen (cité par Rob Dunn)
3. L’espèce humaine, une espèce comme les autres
Chaque espèce évolue dans une niche, qui correspond aux conditions satisfaisant ses besoins en termes de nourriture, de climat ou de lieux de repos. L’humanité a évolué dans une niche climatique étroite. Sortir de cette niche (par réchauffement notamment) provoque des effets sociaux indésirables. Des études ont montré la corrélation entre hausses de température et augmentation des violences (suicides, violences conjugales, agressivité, guerres).
“Il nous faudra trouver le moyen d’aider des centaines de millions, voire des milliards de personnes à trouver leur nouvel habitat.”
A l’échelle de l’évolution, l’espèce humaine disparaitra.
“Nous savons désormais que l’histoire de la vie est surtout celle des microbes. Nous ne sommes qu’un géant maladroit arrivé en retard sur scène, un personnage central de la pièce de la vie qui ne verra pas le tombé de rideau. […] Nous aurons une fin. Et quand cette fin viendra, l’ère géologique définie par nos actions et par leurs conséquences, l’anthropocène, prendra fin lui aussi. Une nouvelle ère commencera”
“La première chose que nous pouvons anticiper de ce futur qui s’écrira sans nous, ce sont les espèces auxquelles nous manqueront ou même qui risquent de disparaitre parce que nous ne seront plus là”
Les questions que cela pose
Comment allons-nous cohabiter avec les espèces (animales, végétales, fongiques, microbiennes) qui migrent dans nos espaces de vie et de travail ?
Quels équilibres éthiques et politiques pour la gestion des parasites et des espèces nuisibles ?
D’un point de vue biologique, la variabilité de l’environnement est la seule certitude. Comment intégrer cela dans les organisations ?
Les migrations à l’échelle de l’espèce humaine sont déjà un sujet éminemment complexes. Comment intégrer également les migrations non-humaines ?
Comment mieux appréhender l’invisible ? Développer notre culture biologique ?
Quels rôles les entreprises peuvent-elles jouer dans cette histoire de l’évolution ?
…
Et si, demain…
… on concevait les bâtiments comme des habitats partagés avec d'autres espèces ?
… on suivait les migrations de parasites comme on suit la météo ?
… les corridors devenaient une composante de l’urbanisme ?
… , à l’école, identifier un champignon était aussi valorisé que résoudre une équation ou écrire une dissertation ?
… nous avions un passeport microbien ?
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Merci pour ce partage....Au passage, quel bonheur de se laisser surprendre par des découvertes de livres sans rien en attendre au départ ...
Très très inspirant, merci beaucoup.