Futur(s) est une newsletter hebdomadaire qui raconte les émergences du présent en fictions du futur. J’y partage ma veille et mes réflexions sur l’évolution de nos modes de vie. Nous sommes désormais 8 576 à imaginer les futurs ici.
Pas de fiction prospective cette semaine, mais une réflexion sur la disparition du “je ne sais pas” : sous l’impulsion de l’IA, nous sommes en train d’assister à l’avènement de la certitude totale, forcément illusoire. Avec quels impacts ?
Bonne lecture !
Noémie
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Prendre le temps d'explorer les liens entre prospective et design fiction
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Le programme détaillé
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Discutons-en ! (noemie@circa2040.com)
La mort du “je ne sais pas” ?
Nous entrons dans un monde où l’IA semble avoir réponse à tout, où ChatGPT admet rarement son ignorance, préférant souvent halluciner plutôt que d’admettre qu’il ne sait pas. Cette infaillibilité de façade questionne : reflète-t-elle le biais de ses créateurs, façonnés par une culture du savoir absolu ? Et surtout, quelles conséquences aura-t-elle sur notre rapport à l’incertitude, cette part essentielle du réel que l’IA, par nature, peine à concevoir ?
Prendre conscience de l’incertitude, c’est d’abord accepter que l’on ne sait pas. Contrairement au risque, qui peut être mesuré et réduit par l’accumulation d’informations, l’incertitude échappe à toute quantification. Le risque est un puzzle dont les pièces, bien que dispersées, peuvent être assemblées. L’incertitude, elle, est un mystère aux contours mouvants, un territoire dont nous ignorons jusqu’à l’existence des frontières. Face à elle, non seulement nous ne savons pas ce qui pourrait advenir, mais nous peinons même à l’imaginer.
L’ignorance éclairée
Face à cette omniprésence de réponses immédiates, il devient essentiel de réhabiliter une forme d’ignorance éclairée : celle qui ne consiste pas en un simple manque de savoir, mais en une conscience lucide de ce que l’on ignore, curieuse de repousser les limites de territoires à explorer. Résister à l’illusion du savoir total, c’est cultiver une posture d’humilité et de discernement, accepter que certaines questions restent ouvertes et que l’incertitude n’est pas une faiblesse, mais une condition même de la pensée critique et de l’innovation.
Savoir ne pas savoir devient un atout, une forme de résistance, un terrain fertile où germent la réflexion et l’imaginaire. C’est en continuant à dire “je ne sais pas” que nous préserverons notre capacité à interroger le monde, à entrevoir l’inattendu et à esquisser de nouveaux futurs.
Pour aller plus loin
We need to resist the easy trap of certainty. We need to cultivate epistemic humility—the ability to question, doubt, and challenge even the most polished answers. And we need to recognize that intelligence isn’t just about knowing—it’s about thinking, questioning, and creating. And this future won’t belong to those who simply have access to AI-generated knowledge. It will belong to those who still know how to wrestle with the unknown.
And maybe, just maybe, the most powerful phrase we can hold onto is: “I don’t know…but let’s find out.”
(Trad. Nous devons résister au piège facile de la certitude. Nous devons cultiver l'humilité épistémique, c'est-à-dire la capacité à remettre en question, à douter et à contester même les réponses les mieux conçues. Et nous devons reconnaître que l'intelligence ne consiste pas seulement à savoir, mais aussi à penser, à s'interroger et à créer. Cet avenir n'appartiendra pas à ceux qui ont simplement accès aux connaissances générées par l'IA. Il appartiendra à ceux qui savent encore se battre avec l'inconnu.
Et peut-être, juste peut-être, la phrase la plus puissante que nous puissions retenir est : « Je ne sais pas... mais découvrons-le ».)
L’illusion du savoir (traduction approximative par mes soins, je n’ai pas trouvé mieux !)
Knowingness is a term coined by another Jonathan, the philosopher Jonathan Lear. It’s defined by a relationship to knowledge in which we always believe that we already know the answer—even before the question is asked. It’s a lack of intellectual curiosity, in which the purpose of knowledge is to reaffirm prior beliefs rather than to be a journey of discovery and awe. […]
This provides a challenge to the conventional wisdom that polarization is the root of our democratic ills. Yes, polarization, specifically asymmetric polarization, is certainly a real, dangerous phenomenon. But there are actually many disagreements that aren’t about divergent policy goals, but rather about the impenetrability of people’s minds. No matter the volume of ironclad empirical evidence presented, they think they already know. But you can’t solve problems if fresh facts never sway your viewpoint. In that way, knowingness is a poison to democracy—one that too many among us have ingested.
(Trad. L’illusion du savoir est un terme inventé par un autre Jonathan, le philosophe Jonathan Lear. Il se définit par un rapport à la connaissance dans lequel nous croyons toujours que nous connaissons déjà la réponse - avant même que la question ne soit posée. C'est un manque de curiosité intellectuelle, dans lequel le but de la connaissance est de réaffirmer des croyances antérieures plutôt que d'être un voyage de découverte et d'émerveillement. [...]
Cela remet en cause l'idée reçue selon laquelle la polarisation est à l'origine de nos maux démocratiques. Oui, la polarisation, en particulier la polarisation asymétrique, est certainement un phénomène réel et dangereux. Mais il existe en réalité de nombreux désaccords qui ne portent pas sur des objectifs politiques divergents, mais plutôt sur l'impénétrabilité de l'esprit des gens. Quel que soit le nombre de preuves empiriques irréfutables présentées, ils pensent qu'ils savent déjà. Or, il est impossible de résoudre des problèmes si des faits nouveaux ne viennent jamais infléchir votre point de vue. En ce sens, l’illusion du savoir est un poison pour la démocratie, un poison que trop d'entre nous ont ingéré.)
Ne pas savoir par
Why is this important?
Because anything that is fully knowable and fully known becomes routine and doable by machines. Understanding not-knowing is thus how we understand being human — this is essential with the sudden rise of artificial intelligence tools. Relating well to not-knowing also enables more innovation and is a path to being happier.
(Trad. Pourquoi est-ce important ?
Parce que tout ce qui est entièrement connaissable et entièrement connu devient routinier et réalisable par les machines. Comprendre l'inconnaissance, c'est donc comprendre l'être humain, ce qui est essentiel avec l'essor soudain des outils d'intelligence artificielle. Une bonne relation avec l'inconnaissance permet également d'innover davantage et constitue un moyen d'être plus heureux.)
Le jeu “idk”, ou l’inconfort productif (toujours par
)
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Bonjour. Je vous cite "Nous entrons dans un monde où l’IA semble avoir réponse à tout" avec "réponse à tout" en gras. Puis-je suggérer que c'est le mot "semble" qui est symptomatique ? (c'est à dire le symptôme d'une maladie). Peut-être connaissez-vous ce que l'on appelle "l'effet Dunning-Kruger". Celui-ci est décrit (en tant que constat issu d'une expérimentation tout à fait sérieuse) dans un article du Journal of Personality and Social Psychology (lien : https://fr.scribd.com/document/20531203/Journal-of-Personality-and-Social-Psychology-1999-Vol-77-No). Pour résumer en quelques mots : après qu'une personne ait commis 2 hold-up coup sur coup à Pittsburgh, il est arrêté. Il est tout surpris : "comment m'avez-vous retrouvé ?" s'étonne-il. La police restitue l'existence d'un réseau de caméras. "Impossible ! je m'étais aspergé de jus de citron. Vous savez bien que le jus de citron rend invisible" (allusion à l'encre dite "sympathique"). L'article mis en lien restitue l'expérimentation effectuée à la suite de ce fait divers. D'après les auteurs, c'est la capacité à observer/analyser nos propres cheminements mentaux/raisonnements qui serait en cause. Un déficit de capacité d'auto-critique, en quelque sorte.
Je vous rejoins complètement sur la consternation qui saisit devant l'angoisse qui semble étreindre un certain nombre de nos congénères devant "Je ne sais pas". J'ai bien plus d'hypothèses que de convictions quant au "Mais pourquoi donc ?". Jeu d'apparences pour société du spectacle (Merci Mr Debord) ? Besoin de simulacre(s) rassurant(s) dans un univers anxiogène ? Comment revenir à l'apologie de ce doute qui grandit celui qui le nourrit ?
Parce que je tend à penser que c'est la meilleure façon de combattre l'obscurantisme.
Bref, beaucoup de questions. Merci pour ce billet !
Ce n'est pas grave d'ignorer. Si on est curieux, on cherche, on gratte, on creuse. Mais si un super Google, une IA omnisciente répond avant même qu’on ne le demande, on va beaucoup s'ennuyer ;-)
En attendant, on peut toujours s'occuper, rire ou pleurer, en observant le bazar mis dans le monde par les IA : https://www.theguardian.com/technology/2025/mar/18/italian-newspaper-says-it-has-published-worlds-first-ai-generated-edition