Futur(s) est une newsletter hebdomadaire qui raconte les émergences du présent en fictions du futur. J’y partage ma veille et mes réflexions sur l’évolution de nos modes de vie. Nous sommes désormais 6 265 à imaginer les futurs ici.
Comment envisager 2024 ?
En cette période de bilan, j’ai défini des grandes thématiques sur lesquelles j’ai envie de travailler en 2024 pour les conférences, les ateliers et les cahiers de tendance :
Nouveaux narratifs autour de la consommation - Consommation à friction
Vieillissement de la population active - Rapport à l’âge
Travailler à l’ère du changement climatique - Evolution des métiers
Habitat et changement climatique - Design for disaster
Pour confronter mon point de vue, j’ai demandé à quatre chasseurs de tendance quel serait leur terrain de recherche privilégié pour 2024. Des points de convergence semblent se dessiner, des perspectives nouvelles s’ouvrent…
Bonne lecture et surtout bonnes fêtes de fin d’année ! On se retrouve en janvier.
Noémie - noemie@circonflexe.studio
Tendances 2024
Un futur possible, inspiré par le présent, ses tendances et ses signaux faibles.
L’essor du Shadow Social, par Marie Dollé
À leurs débuts, les réseaux sociaux se présentaient comme des espaces ouverts, où profils et publications étaient accessibles à tous, créant une sorte d’agora numérique. Progressivement, la notion de confidentialité a pris le dessus, entraînant un repli des profils. Parallèlement, le "dark social" a émergé, dominé par des applications de messagerie telles que WhatsApp.
Dans ces espaces, les conversations se tiennent en petits groupes, à l'écart de la sphère publique, évoquant l'intimité des discussions autour de feux de camp. En 2024, le "shadow social" fait son apparition, un concept que j'ai créé pour décrire un espace hybride situé entre le public et le "dark social". Ce phénomène trouve un écho dans l'intérêt croissant pour les espaces liminaux, ces zones intermédiaires entre deux états, intérêt illustré par les 4,6 milliards de vues accumulées par le hashtag #liminalspaces sur TikTok.
Des exemples concrets ? Citons les Broadcast Channels d'Instagram, qui facilitent des échanges directs et intimes entre les créateurs et leur audience. Sur LinkedIn, la tendance se dessine par la mise en avant des articles collaboratifs et des commentaires. Jadis considérés comme périphériques, ils se transforment progressivement en piliers de l'interaction sur la plateforme, créant de nouveaux espaces de conversation plus nuancés et intimes.
Pourquoi c’est important ? Le "shadow social" représente une évolution significative dans notre manière de percevoir l'identité et les relations en ligne, équilibrant le privé et le public, l'individuel et le collectif. Il se positionne comme une réponse stratégique au "content shock" croissant, exacerbé par l'augmentation des contenus générés par l'IA. Plus encore, il représente pour les plateformes sociales une opportunité de stimuler l'engagement au sein de leurs écosystèmes.
Marie Dollé travaille en tant que Business Analyst chez Bpifrance. Elle est également l’auteure des newsletter In Bed With Tech pour la version française et In Bed With Social pour la version anglaise, lues par 22 000 personnes.
Cosy Punk, par Patrick Kervern
La tendance que je vois arriver est l’ère de la post-productivité ou du post-performatif. Une tendance en germe dans nos vies de plus en plus soumises aux métriques pros et privés (songez que même Google a ralenti le rythme de ses OKR).
Ce n’est pas quand on est bardé de dashboards au bureau et que l’on cherche à s’apaiser et à se protéger du monde que l’on va se rajouter de nouveaux capteurs.
Je vois cette tendance hyper créative émerger en contrepoint de la lassitude généralisée induite par les formats performatifs de moins en moins performants. C’est une rupture nette qui explique la démarvelisation en cours. Elle exprime une certaine fuite des désirs synthétique et la réalisation générationnelle qu’il y a une “processed life” de même qu’il y a de la “processed food”.
Par quels objets et quels nouveaux modes de consommation se manifestera cette fuite du “sameness”, cette similitude plate induite par nos filtres algorithmiques que dénonce Kyle Chaika ? Par des expériences ou des produits au design à la fois plus osé et humain, revisités d’une manière plus fantaisiste et post-ironique -mais aussi plus douce- par les créateurs des générations émergentes.
Cela veut dire que le tactile, le physique et donc l'hyperphysicalité continueront de dominer le monde virtuel. L’objet iconique hyperphysique par excellence (déjà vendu en Corée) n’est il pas Sphere ? Je vois le même phénomène à l'œuvre dans la production d’objets Tech beaucoup plus cozy, chaleureux et agréables au toucher. Comme CRDL objet de mental tech qui a masqué toute l’électronique derrière une façade en bois. Je retrouve le même phénomène à l'œuvre dans la Hard Nostalgia ou le retour inattendu du CozyWeb.
Patrick Kervern est le fondateur de Second Act, premier cabinet de transition de vie et de Umanz, premier magazine de sens, spécialisé dans la détection de nouvelles tendances et l’émergence de nouvelles ruptures en économie, en technologie et au travail.
Frictions et déviations, par Cécile Poignant
La friction va à l'encontre de l'état d'esprit de croissance infinie et de liberté qui sont encore dominants aujourd’hui et, on commence à voir des signaux faibles de son retour. Pendant des années nous avons cherché le comfort absolu et l’expérience seamless. La plupart de nos objets nous arrivent polis, travaillés et même parfois prématurément vieillis. Auparavant il fallait « faire » un vêtement ou des chaussures. Les objets en 2023 s’achètent en un clic mais, ont-ils vraiment suffisamment de valeur?
Payant en liquide et portant des écouteurs à fil, la génération Z s'éloigne esthétiquement de la commodité « parfaite » à laquelle nous sommes habitués. Ils recherchent des produits d’occasion très précis et ils sont prêt à passer du temps pour les trouver. Ils ont envie d'expériences tactiles et immersives pour contrebalancer la fatigue du tout numérique. Les objets eux mêmes sont porteurs de frictions : les poches s’alourdissent de pièces de monnaie et de billets froissées, les fils des écouteurs s’emmêlent autour d’un nouvel iPod vintage récemment acquis pour compléter un dumbphone qui a remplacé le smartphone devenu trop addictif.
Il est souvent nécessaire de changer de point de vue, j’ai noté deux signaux faibles qui me laissent imaginer que nous serons capable de plus d’ouverture d’esprit et de voir des chemins de traverses.
- Un récent test effectué à bord de la Station spatiale internationale a exposé pendant dix mois différents types de bois au vide spatial.Les résultats indiquent que ce matériau est remarquablement résistant, même dans l'environnement extrême de l'espace. L'université de Kyoto a conçu un satellite en bois qui devrait être lancé conjointement par l'agence spatiale japonaise et la NASA dans le courant de l'année prochaine.
- Les cimetières sont des ilots de fraîcheur au coeur des villes. Depuis longtemps les Pays Bas et les pays anglo-saxons ont des cimetières parcs et ils imaginent des cimetières jardins et forestiers pour le futur. Certaines communes françaises transforment ces espaces funéraires pour permettre de retrouver plus de biodiversité. Benoit Gallot conservateur du cimetière du Père Lachaise est un précurseur, il nous fait découvrir la vie secrète de ce cimetière et de ses animaux.
Cécile Poignant est prospectiviste spécialisée dans les modes de vie contemporains. Elle étudie avec passion depuis 30 ans les tendances socioculturelles. Cécile réalise des études à la carte dans tous types de secteurs, des workshops d’innovation, enseigne dans des écoles d’art et de business et prend parole dans de nombreux événements français et internationaux.
IA et inclusion : un paradoxe ? par Caroline Thibault
Deux petites lettres remises sous le feu des projecteurs avec ChatGPT que l’on ne pouvait pas louper en cette année 2023 : l’IA .Ce sera à nouveau le cas en 2024 à n’en point douter. Un sujet phare mis sur le devant de la scène: l’IA peut-elle être vectrice de la transformation sociétale ?
Sensible aux enjeux d’inclusion et de diversité dans les organisations, je suis curieuse d’observer la manière dont l’IA peut – ou pas – favoriser l’intégration de personnes en situations de handicap dans la société et les entreprises. Des solutions se développent avec le déploiement de l’IA Générative comme celles pour aider les personnes dyslexiques à lire en générant automatiquement des textes ou des propositions de réponses aux e-mails mais jusqu’où ira-t-on ? Comme le cite le Philosophe Xavier Pavie, « l’IA pose la question de la place de l’humain dans l’innovation ».
Comment les entreprises peuvent s’inspirer d’initiatives testées et approuvées pour faciliter l’intégration de ces personnes dans leurs organisations ? Au-delà de l’utilisation de l’IA, d’autres initiatives en faveur de l’inclusion m’interpellent: Carrefour vient par exemple d’ouvrir son premier magasin adapté à plusieurs handicaps : plans tactiles du magasin en braille, bandes de guidages au sol et mise à disposition de casques pour permettre aux personnes autistes de s’isoler du bruit en cas de crise. L’univers de la culture est aussi une source d’inspiration face à des enjeux d’inclusion : à l’occasion de concerts, la mise à disposition des gilets vibrants pour que les personnes malentendantes puissent ressentir les vibrations des instruments. Un premier diplôme universitaire destiné à former de futurs référents en accessibilité numérique vient également d’ouvrir à La Réunion.
Par ailleurs, un nouveau métier est né en Allemagne celui d’examinatrices médico-tactiles (EMT) qui se base sur l’extrême sensibilité de femmes en situation de handicap visuel pour détecter précocement des cancers du sein. Un pied de nez à l’IA ?
Curieuse par nature, Caroline Thibaut est passionnée par les mutations en cours et leurs impacts sur l’évolution des organisations et des métiers.
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Si vous souhaitez en savoir plus sur mon métier, c’est par ici
l'Histoire comme eternel 'balancier'. si on (collectivement) pousse trop a l'extreme dans un sens, l'oppose n'en sera que plus certain. fascinant phenomene.
Cette newsletter est vraiment ma révélation de l'année 2023.
Merci beaucoup.